La Jaguar XK150 S Roadster - fin de race

Summum

 

JAGUAR XK150S ROADSTER

 

L'année 1960 constitue la croisée des chemins pour la série XK de chez Jaguar : à bout de mode, à bout de développement, elle jette ses derniers feux dans la bataille, face à une concurrence désormais presque supérieur. Parmi les ultimes avatars, la version S roadster de la XK150 constitue une véritable perle rare seulement 36 exemplaires furent produits.

 

 

 

Février 1957 marque un tournant considérable dans l'histoire de Jaguar. Un gigantesque incendie ravage les chaînes de montage des modèles XK140 et MkVII M. Avec une incroyable ferveur, les employés de Coventry sauveront l'outil de travail et remettront la machine en route en quelques semaines. De son côté, le boss, William Lyons, ne pouvait pas ne pas y voir un signe du destin : l'emblématique XK sous sa forme bien connue avait fait long feu...

 

C'est en 1948 que l'ancêtre de la XK120 avait été présenté. On sait tous à quel point ce solide first class avait marqué les esprits : une mécanique noble et surpuissante (le 6 cylindres 3,4L XK), une ligne à couper le souffle de grâce et de beauté, un prix justement situé entre une 4 cv et une Rolls Royce, ce qui en faisait un objet d'exception pour la plus grande majorité, mais lui permettait un beau succès commercial en s'adressant aux grosses, certes, mais aussi petites fortunes de ce monde. C'est évidemment aux USA que le joujou fit choux gras. A l'aube de fifties, c'était bien le seul endroit au monde où l'on pouvait se permettre ce genre de fantaisies.

 

 

 

Il faut savoir s'affirmer dans la vie. Et à l'inverse de l'opinion générale j'ose dire que l'évolution de la XK120, la XK140 lancée en 1954, m'apparait peut-être la moins séduisante de sa généalogie ! Calmez votre pacemaker, votre Honneur, je vais m'en expliquer. La 120, malgré toutes ses phénoménales qualités, restait finalement une " sports car " anglaise. Trop anglaise. Pureté de style, juste l'essentiel, avec une finition " suffisante " pour son rang et un habitacle taillé pour les esthètes. Magnifique. Sans doute. Mais au quotidien, pour le brave Joe, exploitant pétrolier richissime au Texas, 130 kg au garrot situé a minima à 1,80 m (il faut rajouter la tête, bien évidemment...), la XK avait quelque chose de fluet et désuet. Certes, Joe avait bien conscience à son volant de vivre avec son temps, de se promener à bord du dernier chic européen totalement smart dans son bled, de pouvoir emporter le coeur de pin-ups haut de gamme rien qu'en faisant glisser sur l'asphalte son sensuel bolide au feulement enjôleur, mais il lui manquait quelque chose : plus de chromes, comme dans sa Cadillac, plus de place, comme dans sa Chevrolet. L'Américain, même riche, reste Américain. Et si l'on bouscule ses habitudes, il n'adhère plus... Conscient du problème et de la couleur British Racing Green du dollar, Lyons vendit l'âme de sa XK120 au diable en janvier 1954 : sous une apparence quasi similaire à sa gracile aînée, la XK140 offre un habitacle plus large (et même une place d'appoint derrière le sièges !, avec des portières plus grandes, et des chromes, beaucoup de chromes. Gros. Epais. A commencer par les pare-chocs, taillés dans des rails de chemins de fer (çà parle aux cow-boys çà). Avec d'EPAIS butoirs. Des GROS phares. De GROS clignotants. De GROSSES barettes de calandres (au nombre de sept et non plus quinze, l'obésité décimant les rangs...). La malle se pare d'un GROS jonc chromé. Les portières sont taillées dans un LOURD acier (en tout cas sur le coupé et le cabriolet, le roadster faisant encore un peu de résistance en conservant les portières en alu sur bâti en bois pour cette version...). Et pour séduire totalement Joe, la XK140 est aussi disponible en boîte automatique, comme sur une Cadillac !

 

Sortie telle quelle en 1948, la 120 aurait été un plus gros carton commercial encore (mais on nous aurait privé d'une vraie réussite), car les chiffres de vente de la 140 sont équivalents (rapporté à la durée de production en trois ans, contre six pour la 120), tout en composant avec une robe commençant à se démoder - la ligne ponton s'impose - et une concurrence de plus en plus acriven Ferrari se fait connaître, Aston Martin aussi, Siata se vend pas mal aux States, Alfa Romeo s'est mis au goût du jour, et Mercedes dévoile également en 1954 les 190 et 300 SL qui prennent en étau la Jag', tandis que Porsche prend son élan en devenant le cerceuil narcissique de James Dean...

 

 

 

CONTRE-PIED

 

Comme il n'est jamais simple de tirer un trait sur un best-seller en fin de vie, Jaguar va insister encore un peu, en attendant d'essayer de faire encore mieux que le coup de la XK120 en 1948. C'est dans le Type D de compétition que Lyons tirera sa future et mythique Type E pour 1961, mais nous n'y sommes pas encore...

 

Entre 1954 et 1957, la XK140 est aussi portée par les victoires de ce fameux modèle de course et notamment par les emblématiques succès au Mans en 1955, 1956 et 1957. Cette dernière année est celle du fameux tournant précédemment évoqué. La XK140 a brûlé, la XK est morte, vive la XK ! un habile replâtrage va permettre de faire la passe, le dernier sursaut avant la fin. Donner l'illusion d'être une star hollywoodienne immortelle. S'inspirant de la ligne ponton de sa nouvelle petite berline 2.4 (qui va bientôt évoluer en Mk2, un autre mythe), Jaguar présente en mai 1957 la XK150.

D'emblée un produit bâtard. Beaucoup crie au scandale, scandale du schocking à tout va, au prétexte de la perte du galbe de l'aile avant descendant vertigineusement sur le rebondi arrière. Et pourtant...

 

La XK150 est certainement plus cohérente que la XK140 vis-àvis de la clientèle visée. Elle est devenue une grosse sportive à l'européenne, empâtée, certes, luxueuse, pourquoi pas, mais logique. Une vraie fin de race, sans évolution, partant en provoquant une sorte d'écoeurement, tout en préparant une succession rendue plus facile. Toujours à contre-pied, je préfère nettement une 150 à une 140. Sa ligne n'est plus celle de la pure 120, elle s'en distingue clairement dans le fond et la forme. Ne joue plus la comédie. Affiche ses rides...et conserve génétiquement ses qualités, son identité. Elle ose même être moins performante que son prédécesseur ! Le moteur est identique mais la voiture plus lourde...

 

 

 

Pire, on lui a même supprimé l'emblématique version roadster. Celle-ci ne reviendra qu'un an plus tard, en mars 1958. Oh, on sera loin de la finesse des premiers jours, mais il restera beaucoup de grâce dans cette échancrure de portière, courbée en un petit élan de souvenir... C'est cette même année qu'on équipe la 150 en version S d'une nouvelle culasse dessinée par l'ingénieur de talent Harry Weslake. Elle est dite Straight Port en raison de ses conduits d'admission rectilignes, et est alimentée par une batterie de trois carbus SU HD8. La puissance passe ainsi de 210 à 250 ch SAE, et mamie XK retrouve de sa verve. 

 

 

 

Mais çà ne s'arrêtera pas là : avant l'arrêt définitif, le coeur du fauve va encore s'emballer. Préparant le terrain à la future " XK E ", le bloc subit un réalésage à 3 781 cm3 au lieu des 3 442) pour le salon de Londres 1959. Sans changement de puissance, mais avec une augmentation du couple. Du coup, en version S, les chronos donnent encore la bonne mesure du félin : le 0 à 100 km/h s'avale en sept secondes et demie ! Une évolution particulièrement rare, car les quasi 9 400 XK150 produites, seulement à 245 exemplaires seront vendus avec le 3,8L S ! La variante la plus rare étant le roadster, avec seulement 36 unités...

 

 

 

RAPPELS TECHNIQUES

 

Moteur : 6 cylindres en ligne en position longitudinale avant, 3 781 cm3 (87x106mm) 250 ch SAE à 5 500 tr/mn, 36 mkg à 4 500 tr/mn, rapport volumétrique 9:1, bloc fonte, culasse alu, 2 arbres à cames en tête, trois carbus SU  HD8.

Transmission : aux roues arrière, embrayage monodisque sec, boîte Moss 4 vitesses, O.D en option.

Direction: à crémaillère

Freins : disques assistés

Suspensions : avant à roues indépendantes, triangles, barres de torsion longitudinales, amortisseurs télescopiques, barre antiroulis, arrière à essieu rigide, ressorts à lames, amortisseurs télescopiques.

Pneus : 6.00x16

Structure : châssis à longerons acier, caisse acier

Carrosserie : roadster 2 places

Dimensions : longueur 4,50 m, largeur 1,64 m, empattement 2,59 m, voies AV/AR 1,30 m

Poids : 1 440 kg

Vitesse maximale : 218 km/h

 

SAGAN ou ANDRESS ?

 

Vous en avez un exemplaire sous les yeux. The ultimate XK pourrait-on scander dans un pseudo message publicitaire. Ce roadster 3.8 S en jette. Il faut vraiment être snob, malotru, inculte, aveugle ou de mauvaise foi pour ne pas aimer la XK150. Vraie fin de race, elle est le témoin d'une décennie folle, celle des années 50, où tout devait être rapide et beau pour oublier la torpeur des années passées. Ensuite, le glamour fera place au sexy. Une autre époque. Alors que l'on s'installerait avec une désinvolture rock n'roll dans une " Rhââ lovely " Type E, on conserve le respect, la timidité et l'exactitude des gestes pour se mettre aux commandes du majestueux roadster 150. On aborde pas Sagan comme on le ferait avec Ursula Andress. L'intellectuel prime ici sur l'instinct. L'habitacle illuminé de beige (cuir et moquette) ne nous poue pas le registre de la planche de bord en bois : elle demeure de bon goût en se parant d'une sobre plaque grise centrale, peinte en gris grainé, et regroupant la principale instrumentation. Le beau et grand cerceau de bakélite noire à quatre branches est vestige du passé, que le pare-brise bombé - América, América...- d'une pièce vient contrebalancer. La position de conduite n'a pas changé depuis la 120 : le volant sur les genoux, les fesses calées pratiquement sur le pont rigide. Mais tout est devenu plus feutré et cossu. Dix ans séparent les deux modèles, on les sent dans la finition et dans la conduite.

 

Plus docile, moins rugueux, moins roots, moins masculin. Voilà ce qui ressort de la prise en main de ce roadster 150 3.8 S. Taillé pour l'Amérique, partisane du moindre effort en terme de conduite. La 120 était une merveille : rouler à tombeau ouvert avec elle pouvait vous y emmener. C'était une authentique " sports car ", réclamant attention, concentration et coup de volant pour être emmener à la limite. Ici, la limite , on ne veut même pas l'atteindre. Certes, le 3,8 L S répond bien, à l'anglaise, comme un gros chat capable d'avoir sa petite crise de nerfs à l'occase, mais il ne cherche pas le combat, ni même l'agressivité. Il navigue en père peinard. Roule des épaules pour la frime, mais l'envie de sprint n'y est pas.

 

La XK150 S est un objet de cruising, comme un yacht : des watts, certes, mais aucune volonté de s'en servir. Du coup, la conduite est plus cool, plus nuancée, plus du tout sur le fil. Autre philosophie. Comment dit-on déjà ? Ne pas pousser mamie dans les orties ? Il y a de ça...

 

 

CONTROLE TECHNIQUE

 

Vous voulez acheter un roadster 150 3.8 S ? Patientez ! c'est faisable, il faut attendre qu'il y en ait à vendre : comptez un prix proche de 150 000 € pour un état concours, un poil moins pour quelque chose de très beau. Mais si c'est surtout l'allure de la XK150 que vous recherchez, redescendez sur terre et prenez une basique 3.4. Les prix démarrent pour un véhicule très propre, de belle allure, prêt à prendre la route à environ 40 000 € (coupé). Les points à vérifier ne sont que très classiques : le 6 cylindres Jaguar est une merveille, s'il est entretenu correctement il ne vous ennuiera pas.

L'électricité est anglaise. La boîte Moss n'est pas si calamiteuse si on ne la manie pas comme celle de votre Clio Société. Et le point noir est toujours la rouille : méfiez-vous des pseudos restaurations à l'américaine, où l'on apprends davantage à cuisiner à la choucroute qu'à se servir d'un chalumeau. Rien de bien " bouleversifiant " donc, d'autant que les spécialistes pour ce type de modèles sont bien connus et nombreux en France...

 

 

 

Autres photos d'un superbe XK 150 S roadster

 

 

 

 

Article de Thibaut Amant pour le magazine n°7 d' AUTOCOLLECTOR @ CLASSIC du mois d'octobre que nous remercions.

 

 

 

 

 



02/10/2010
1 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 79 autres membres